Arrêt de la Cour constitutionnelle – arrêt n°00176 du 23 décembre 2022

La Cour constitutionnelle a déclaré le 23 décembre dernier, l’article 1762-6, paragraphe 4, du Code civil, tel qu’introduit par la loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial, contraire à l’article 11, paragraphe 6, alinéa 1, de la Constitution relatif à la liberté du commerce et de l’industrie.

Dans cette affaire, il était question d’une société à responsabilité limité (ci-après la « société 2 ») qui avait pris un local commercial, d’abord suivant contre de bail du 20 novembre 2001 avec effet au 1er juin 2002 pour un loyer mensuel de 7.950 euros, ensuite suivant un second contrat de bail du mois de mars 2018 avec effet au 1er avril 2018 pour un loyer mensuel de 5.000 euros.

La société 2 avait donné en sous-location le local commercial à une société à responsabilité limitée (ci-après la « société 1 ») suivant contrat de bail du 14 juillet 2014 avec effet au 1er septembre 2014 pour un loyer mensuel de 16.000 euros HTVA, par la suite, réduit à 14.500 euros HTVA avec effet au 1er septembre 2017.
La société 1 avait agi contre la société 2 en recouvrement du montant qu’elle estimait avoir payé en trop depuis le mois de mars 2019.

Pour justifier cette différence importante de loyer, la société 2 avait fait valoir, en application de l’article 1762-6 (4) du code civil, l’existence d’investissements spécifiques et a agi en recouvrement des montants qui n’avaient pas été payés par la société 1 ainsi qu’en résiliation du contrat de bail.

La Justice de Paix d’Esch-sur-Alzette, saisie de cette affaire s’est vue interroger sur les questions relatives à la conformité de l’article 1762-6 (4) du Code civil à l’article 11 (6) de la Constitution portant sur la liberté du commerce et de l’industrie et au principe général du droit relatif à la sécurité juridique. Elle a porté ces deux questions à la Cour constitutionnelle et a sursis à statuer en attendant les réponses de la Cour.

Sur la première question relative à la conformité de l’article 1762-6 (4) du Code civil à l’article 11 (6) de la Constitution, la Cour constitutionnelle rappelle que si l’article 11 de la Constitution permet à la loi d’établir des restrictions à la liberté du commerce et de l’industrie, ces dernières doivent être
« rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but ».

Or bien que le but poursuivi par l’adoption de la loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du code civil, notamment l’article 1762-6 (4), était de lutter contre la spéculation et le renchérissement du prix des locaux commerciaux au détriment du développement des activités commerciales, artisanales et industrielles, le plafond institué par cet article constitue en lui-même une restriction disproportionnée.

La Cour constitutionnelle rappelle que cet article vient limiter les recettes que le bailleur secondaire peut percevoir de sa sous-location à la dépense que lui-même doit supporter en tant que preneur du bail principal. Dès lors, cette limite instaurée par l’article 1762-6 (4) du Code civil ne lui permet ni de couvrir ses frais d’exploitation, ni de percevoir un bénéfice raisonnable tiré de la sous-location.

La Cour constitutionnelle retient que l’article 1762-6 (4) du Code civil est contraire à l’article 11, paragraphe 6, aliéna 1, de la Constitution. Afin de limiter toutes nouvelles spéculations et en l’attente d’une modification législative, la Cour constitutionnelle vient encadrer la limite instaurée par l’article 1762-6 (4) du Code civil et précise que l’équilibre entre le but recherché par la disposition et la liberté du commerce et de l’industrie est réalisé « si le loyer du contrat de
sous-location ne dépasse pas le loyer payé par le preneur au bailleur principal, majoré de ses frais d’exploitation relatifs à la sous-location et d’un bénéfice raisonnable ».

La seconde question posée à la Cour constitutionnelle concerne la conformité de l’article 1762-6 (4) du Code civil au principe général du droit relatif à la sécurité juridique. A cet égard, il convient de rappeler que le principe général du droit est à rattacher au principe fondamental de l’Etat de droit. Il implique que toute règle de droit doit être suffisamment claire, précise et prévisible de sorte que les justiciables puissent raisonnablement prévoir les conséquences de leurs actes.
C’est l’interprétation de la notion d’« investissement spécifiques à l’activité du sous-locataire » qui posait problème en l’espèce, laquelle ne serait pas suffisamment claire et précise pour pouvoir en dégager une jurisprudence prévisible.

Or la Cour constitutionnelle estime que la notion n’exclut pas une application raisonnable de l’article 1762-6 (4) en ce qu’elle fait clairement référence aux investissements faits par le bailleur secondaire pour l’activité exercée par le sous-locataire, et que la preuve par ce bailleur d’avoir effectué de tels investissements lui octroie la possibilité de majorer le loyer, au-delà de celui payer dans le cadre du bail principal. Au risque de tomber dans les travers de la spéculation, il demeure néanmoins deux conditions à cette majoration, elle doit être proportionnée à l’investissement fait par le bailleur secondaire et permettre à ce dernier d’amortir son investissement de manière appropriée.

Dès lors, la Cour constitutionnelle estime que la rédaction de l’article 1762-6 (4) ne porte pas atteinte au principe général de la sécurité juridique.